○ Parce que toi, tu connais mon secret [ PV Ito ]

J’ignorais pour quelle raison funeste je m'étais retrouvée ici, dans la cimetière de Kumo. La nuit commençait à pointer le bout de son nez, la pluie était toujours présente pour tenter de nous tremper peu à peu, et moi je me retrouvais plantée au beau milieu de pierres tombales, vêtue d'un simple débardeur et d'un pantalon de toile pour seuls habits. Inutile de dire que je crevais de froid, mais mon esprit semblait omettre ce sentiment futile. Agenouillée sur la pierre humide, je caressais du bout des doigts les lettres gravées dans le marbre, lisant ce nom sans vraiment le lire, me contentant de rendre un hommage silencieux à celui qui avait été autrefois mien. Je frissonnai brièvement, redressant la tête à l'entente de quelques voix alentours. Des gens étaient là, hors du lieu de repos des morts, riant dans leur insouciance. L'un d'entre eux parvint dans mon havre de paix, ne semblant pas appartenir au petit groupe qui avait troublé ma quiétude. Il m'annonça que visiblement un homme me cherchait, et me demanda s'il devait m'indiquer ma position actuelle. D'un signe de tête, je lui indiquai de lui dire de me rejoindre au paratonnerre, autre endroit que j'affectionnais particulièrement, et moins glauque qu'un cimetière.

En réalité, j'étais partie de chez moi dans un élan mélancolique, observant les rues dans lesquelles mes pas me menaient sans ne vraiment voir. Mon esprit avait dérivé peu à peu vers mes souvenirs, du temps où je n'étais encore qu'une simple aspirante, remontant doucement le courant des étapes de ma vie entière. Je décidai de clore ce chapitre en quittant l'endroit austère, adressant un sourire bienveillant à tous ceux que je croisais dans la rue et qui n'avaient pas peur de se mouiller. Ce village était mien, et il allait me falloir bien du courage pour enfin absorber dans sa globalité les nombreuses responsabilités qui pesaient sur mes épaules. Première étape, faire valoir à tous ceux qui étaient sous mes ordres que c'était moi le chef, et que je n'étais plus une Kunoichi de leur rang. Ceci impliquait beaucoup de sacrifices de ma part, et il me fallait être moins coulante avec les autres aussi, montrer un visage de Raikage plutôt que de pauvre petite femme un peu perdue dans ses états d'âmes. Certes, quand j'étais encore une Oi-nin, il n'y avait plus que le sang qui m'allait à merveille en guise de parfum, et ce regard vide que j'avais arboré durant trois ans.

Une fois au pied du Paratonnerre, je me surpris à me demander qui pouvait souhaiter me voir à une heure aussi tardive. D'accord, ce n'était que le début de la soirée, mais l'on me requérait des audiences plutôt dans la journée, généralement. Le soir, mes gens appréciaient pouvoir se remettre un peu dans le bain de l’insouciance si aucune tâche ne leur avait été confiée. Peut-être aurais-je pu demander l’identité de la personne à celui venu me prévenir, mais je n’y avais pas pensé sur le coup. Et à bien y réfléchir, s’il ne l’avait interpellé que dans la rue, il était fort probable qu’il n’en sache rien non plus. Les mains posées sur les manches de mes dagues attachées à l’envers, le haut du dos posé contre un mur, j’attendis, songeant que j’aurais dû préciser que le lieu de rendez-vous était au sommet du bâtiment, préférant me retrouver à un point culminant tout mon village. Ce n’était pas grave, puis l’on ne risquait rien, l’orage ne semblait pas être de mise ce soir-là. Je rouvris mes paupières closes quelques instants plus tôt à l'entente de ma nomination, baissant les yeux vers l'individu qui s'était alors courbé. Je détestais profondément ce genre de manière, me donnant l'impression de n'être qu'une fade personne destinée à péter plus haut que son cul pour le restant de ces jours. Mais la tradition le voulait ainsi, alors je m'y pliais.

"Redresse-toi..."

Je laissai mon visage redevenir neutre, quittant une expression de dégout pour paraître l'air de rien. Lorsque le Shinobi releva la tête, je pus le reconnaître, et pus ainsi enfin achever ma phrase laissée en suspension. "...Shisen." Je ne lui avais jamais vraiment parler, juste assez pour en savoir suffisamment sur lui et connaître à peu près ses capacités. Le Nécromancien. Inutile de dire que ses techniques me faisaient froid dans le dos, mais je n'avais d'autre choix que de lui accorder ma confiance. Et s'il s'y dérobait, il risquait fort d'aller rejoindre ses petits camarades qu'il relevait parfois, sans pouvoir revenir d'entre les morts de lui-même. Du moins, je l'espérai... S'il était immortel et se mettait en tête de me trahir, Kumo risquait fort de vivre de mauvais jours. "Tu avais quelque chose à me demander ?" Lui accorder une audience dans mon bureau aurait été certainement plus correct, mais je n'avais pas envie de retourner m'enfermer dans mon bureau, même si nous y aurions été au sec. Et puis, il n'y avait personne pour nous écouter ici.

Le temps semblait déterminé à me faire perdre patience bien plus rapidement que prévu. Je fixais le jeune homme sans ciller, malgré la brûlure de mes yeux causée par le petit vent d'ouest qui s'était levé en même temps que sa cousine la pluie. Je voulais qu'il formule ses pensées, qu'il me fasse connaître la raison pour laquelle il avait souhaité me voir. Mais il semblait hésiter, et dans ma tête, cela voulait dire que ce qu'il avait à me demander risquait fort de ne pas me plaire. Soupirant intérieurement, je croisai les bras puis attendis. Enfin il se décida à parler, après m'avoir fait croire qu'il allait finalement me poser un lapin. Je sus, et mon visage resta impassible durant toute la durée de son intervention. Je me contentai de plonger mon regard dans le sien, hochant lentement la tête de temps à autre afin de lui garantir une oreille attentive, mais je n'en fis pas plus. Il était vrai que je faisais parti des seules personnes de ce village à avoir conscience de son délicat petit secret, avec quelques membres du conseil que je savais entièrement fiable. En gros, si cette information venait à faire le tour du village, il allait y avoir quelques pertes au niveau des hautes strates... Ou bien notre nécromancien n'aura pas été assez discret quant à ses funèbres agissements. Moi-même, je préférais que cela ne s'ébruite pas de trop. Son art n'était pas forcément bien perçu, et je ne voulais pas perdre la confiance de mes habitants en abritant un tel type parmi nous tous. Ou bien que les autres pays l'apprennent, et j'ignorais quelles pourraient être les conséquences d'une telle nouvelle.

Je conservai le silence pendant un petit moment, abîmée dans ma réflexion personnelle. Bien sur que j'avais entendu parler des agissements de cet individu, mais je ne l'avais pas classé dans nos cibles prioritaires. Et même s'il s'agissait d'un fieffé lâche, je ne le considérais guère comme si dangereux que ça. Mais il était aussi probable que je puisse me tromper, et que l'homme préparait quelque chose de mauvais pour le pays des nuages. Quand il me disait avoir besoin de moi, j'étais certaine qu'il voulait simplement quelques renseignements quant à son emplacement actuel. Chose que j'ignorais, mais il n'était pas impossible de lui dégotter ces informations en un temps record grâce à nos pisteurs. Je clignai des yeux lorsqu'il formula sa véritable demande. J'étais surprise, véritablement. J'avais d'autres chats à fouetter, et il y avait des tonnes de shinobis disponibles pour lui donner un coup de main en cas de besoin. Mais ce fut un éclair zébrant le ciel qui me rappela sa triste vérité. Il ne voulait pas que son don se répande, et il était donc probable que je sois la seule à même à lui venir en aide. Quoi que pour tuer ce pauvre diable, n'importe qui aurait pu faire l'affaire. Au fond, c'était simplement ce qu'il aurait à faire du corps qui posait problème.

"Je vois..."

Quelque chose autre que de la neutralité passa sur mon visage. De l'amusement peut-être, après tout cet individu avait des couilles en béton armé. Il me semble que personnellement, jamais je n'aurais été requérir l'aide d'Ei pour une chose de ce genre là du temps où il était encore Raikage. Certes, j'avais reçu un enseignement de sa part, mais jamais je n'avais été lui demandé explicitement un tel acte venant de sa part. "Cela devrait pouvoir se faire..." Je fis lentement craquer ma nuque, continuant de faire mentalement le point sur deux ou trois autres choses. Et surtout trouver quoi lui dire, afin de conserver un minimum d'autorité et ne pas passer pour une espèce de moulin apte à tout faire. "Mais c'est ta chasse. C'est toi qui va combattre, moi je ne ferais que t'accompagner. Je ne t'épaulerais qu'en cas d'extrême urgence, ne compte pas sur moi pour te mâcher le boulot." Une manière efficace pour voir discrètement de quoi il était réellement capable... "Par contre, quand ? Que je puisse voir mes disponibilités, ils ne vont pas me lâcher comme ça là-bas." Je ponctuai ma phrase par un petit rire, désignant de l'index la direction de la Tour. L'administration était une chose, et l'amusement une autre.

Même si mes traits s'étaient visiblement détendus, mon cerveau, lui, tournait à plein régime. Je n'appréciais pas énormément l'art de cet individu, mais ma famille m'avait enseigné une certaine ouverture d'esprit, et je me devais de respecter leurs préceptes. J'en faisais une affaire personnelle, mais il valait mieux que ses activités nocturnes ne s'ébruitent pas énormément. Voir pas du tout. Les gens n'aimaient pas que l'on traite avec la mort, et je pouvais comprendre leur réticence. La perte d'un être cher était déjà une chose difficile à surmonter, et j'en connaissais un rayon dans ce domaine là. Mais si en plus on vivait avec le doute qu'il puisse un jour être déterré et mis au service d'un fou aux intentions crapuleuses, la nuit n'était plus que porteuse d'insomnie jusqu'à ce que l'on choisisse de se passer enfin la corde autour du cou afin de libérer son âme. Ou plutôt se s'immoler, afin d'être à peu près sûr qu'il ne reste rien de son corps, et que personne ne puisse jouer avec une fois notre conscience évaporée à tout jamais. Au départ, lorsque j'appris les compétences de cet homme, j'eus dans l'idée de m'en servir afin de ramener Kazuki à la vie, ou du moins à un état un peu moins mort qu'il ne l'était déjà. Mais j'avais vite abandonné cette idée, pensant que d'une part ça ne le ramènerait pas et qu'il fallait que je tourne la page dans son intégralité, et d'autre part que c'était un acte aussi glauque qu'ignoble.

Délaissant le passé et de funestes pensées, je me remis au goût du jour, contemplant mon shinobi dans le crépuscule avançant, sous la bruine qui ne demandait qu'à nous laisser malade une fois son passage achevé. Ouvrant la bouche, je pris quelques secondes afin de réfléchir à ce que j'allais dire, puis prononçai quelques paroles d'un air détaché. "Par contre, une fois qu'il sera mort, tu te débrouilles, je ne tiens pas tant que ça à te voir faire tes magouilles..." Je n'explicitai pas le fond de ma pensée, lui laissant croire ce qu'il désirait. Je ne voulais juste simplement pas être influencée dans mes choix futures en le voyant faire, voila tout. "Et la prochaine fois, tu devras te débrouiller seul, tu auras assez de ressources pour. Là, c'est exceptionnel, alors n'y prends pas goût." Je lui adressai tout de même un petit clin d'oeil pour ponctuer mes paroles, ne les laissant pas telles qu'elles, aussi dures que le ton avec lequel je les avais prononcées. Mais je n'avais pas que ça à faire, et si je faisais partie des seules personnes à qui il voulait bien confier son secret, il devrait faire avec. J'avais bien autre chose à faire dans les étapes diurnes de la journée pour ne pas avoir à m'en mêler également une fois la nuit tombée.

"Je te contacterais dès que possible. Quand on aura une piste, je vais dépêcher quelques éclaireurs de ce pas, et voir mes disponibilités aussi."

Je voulais ajouter "et trouver une excuse également", mais je m'abstins. Le chef de ce village n'était d'autre que ma propre personne, et j'estimai ne pas avoir à justifier le moindre de mes faits et gestes. Il fallait bien conserver une part de mystère vis-à-vis de mes subordonnés, et ils ne savaient de toute manière pas tout dès l'origine. "Et jusqu'à ce que je te contacte, ne quitte pas le village sans prévenir, je préférerais éviter de perdre inutilement un temps précieux à te chercher dans tous les coins." J'étais confiante quant au fait de me libérer un créneau dans les prochains jours, si bien que je ne jugeai pas obligatoire de lui préciser mon temps de libération. Il le verrait de toute manière bien assez tôt. Souhaitant couper court à la conversation, je le saluai d'un signe de tête en lui souhaitant une bonne soirée, puis disparut aussitôt dans les rues du village, ne lui laissant pas la moindre chance de me retenir une seule seconde supplémentaire.